L’influence croissante des services de notation en ligne, bien que favorisant le principe collaboratif, est en réalité devenue un “business” prisé par les entreprises. En effet, selon Marie-Anne Dujarier[4], “Les différentes plateformes ont des effets très différenciés sur le monde du travail”. Celles à but lucratif favorisent la domination des propriétaires et concepteurs qui captent une grande partie des richesses : certains pratiquent l’évasion fiscale et s’appuient sur une masse de micro-entrepreneurs non-salariés”.
Suite à cela, des mouvements sociaux ont émergé pour dénoncer le caractère subordonné du travailleur et sa dépendance économique à l’entreprise.En juillet 2018, des livreurs de plateformes comme Deliveroo, Foodora ou encore Uber eats ont appelé à la grève pour dénoncer leurs conditions de travail.[3] Le communiqué du Collectif des livreurs autonomes parisiens (Clap) insistait notamment sur le fait d’être payé à la course, ce qui accroît l’inégalité des salaires par rapport au travail fourni : “Depuis plusieurs mois, nous avons vu nos rémunérations diminuer et les distances de livraison augmenter”.
“Chaque restaurateur aujourd’hui a mis à contribution son frère ou ses amis pour mettre des commentaires positifs…»
Aussi, les avis peuvent être faux, achetés, automatisés ou effectués sous le prisme du chantage. Des entreprises proposaient même d’être rémunéré pour laisser de faux avis, même si les plateformes d’économie collaboratives assurent aujourd’hui contrôler ces phénomènes afin de les éradiquer.C’est ce que l’article 15 du projet de loi sur la République numérique vise à réguler. L’objectif est d’améliorer la possibilité pour les internautes de savoir s’il existe un processus de vérification des avis en ligne.
Par exemple, l’entreprise Boostic (basée à l’étranger et donc difficile à détecter) ou encore le site “acheter des fans.com” proposaient à des utilisateurs de devenir populaire sur les plateformes collaboratives en contrepartie d’un paiement. Comme le souligne Libération dans un article de mars 2018, “les plateformes, capables de faire le succès d’une enseigne en quelques clics d’internautes, étaient prises à leur propre jeu”. Même si depuis, elles semblent avoir mis la clé sous la porte grâce au renforcement du contrôle des faux avis par les plateformes. L’un de ceux qui proposaient avant ces services tempère tout de même dans le même article : “Chaque restaurateur aujourd’hui a mis à contribution son frère ou ses amis pour mettre des commentaires positifs…»
La notation à caractère social (le commentaire sur blablacar par exemple) devient un réflexe automatique, peu révélateur de ce que l’utilisateur est vraiment. Solène l’analyse ainsi : “Je trouve parfois cela malsain de juger les gens, de les noter. Car en définitive, on ne les connait pas très bien : on a passé que deux ou trois heures avec eux. C’est pour ça que je ne note que les gens avec qui j’ai vraiment discuté. Si je ne leur ai pas parlé durant le trajet, je ne me sens pas à même de les juger vraiment.”
Cet automatisme est aussi caractérisé par une volonté de gagner du temps, par exemple lors de la réservation d’un blablacar :“J’utilise le système de saisie automatique proposé par Blablacar, déclare Emerick. Le passager s’enregistre directement et une notification me prévient que la place est reservée. Ce n’est pas le cas du système manuel qui demande de valider chaque passager, et prend plus de temps.” La plateforme met en place des outils de réservation et de recherche plus rapides, au détriment de l’échange social et humain prôné par le système collaboratif.
Surtout, la notation peut donner lieu à des pratiques de marchandage, d’échanges de commentaires ou de bonnes notes, sans rapport avec la réalité de la prestation vécue. Il est ainsi possible de reprendre l’exemple de Oobah Butler, le journaliste de Vice qui avait fait de son restaurant fictif le mieux noté de Londres grâce aux faux avis positifs de ses amis, et basé sur sa propre expérience lorsqu’il était payé pour donner de faux avis. Certains usagers peuvent établir des pratiques de chantage du type “je te mets une bonne note si tu m’en mets une et inversement”.
Les plateformes collaboratives, qui prônaient l’intermédiaire entre demandeurs et offreurs de services, deviennent en réalité des entreprises comme les autres. Ainsi, Blablacar, qui affirmait à ses débuts garantir le covoiturage sans frais, est devenu payant en 2011 et prélève aujourd’hui 11 % de commission sur chaque trajet”.[2] Certaines plateformes deviennent même des “Licornes”, c’est-à-dire des entreprises valorisées à plus d’un milliard de dollars et ayant moins de 10 ans d’existence.
Cette appétence économique devient contraire au projet initial d’une plateforme collaborative, à savoir la gratuité des frais de service. De plus, elle peut mener à une mise en compétition entre les utilisateurs et non plus à de simples initiatives partagées. Doit-on alors considérer que le numérique collaboratif à grande échelle ne peut échapper à ce processus d’économisation ?