Module 2 : Contraintes à la création

Contraintes à la création


Afin de déterminer plus exactement à quelles problématiques les vidéastes faisaient face au cours de leur processus de création, nous avons décidé de mener un enquête participative.

Nous avons réalisé un questionnaire diffusé sur le groupe privé Facebook “Les créatrices vidéo sur internet”. Le questionnaire était accompagné d’un texte de présentation :

 

“Bonjour, et merci d’être là !

Nous sommes Valentine et Léa, étudiantes en 3ème année de sociologie des industries culturelles et créatives à l’université de Lille (sciences humaines et sociales) et réalisons un  dossier d’enquête sociologique à rendre pour notre cours de culture et numérique.

Cette année nous avons décidé de nous questionner sur la place des femmes sur Youtube, et nous aurions besoin de tes réponses !

Le questionnaire est anonyme, la seule condition est d’avoir une chaîne Youtube !

Bisous

P.S : Certaines questions, à la fin, vont sembler très manichéennes, on rêve d’une société sans différences entre les sexes, ce n’est pas le cas, aussi c’est un fait que ces différences sont aussi visibles sur YouTube. Je vous demande alors de prendre en compte les questions avec une certaine naïveté : ces questions permettent de soulever des problématiques de genre, n’hésitez pas à nous faire part de toute remarque à la fin !”

 

Il se compose de 9 questions : 1 question ouverte, 2 questions à échelle, 3 questions fermées et 3 questions à choix multiples, dont voici la liste et les réponses proposées :

Nous avons finalement 19 répondantes au total, qui n’ont pas répondu à toutes les questions. Aussi, pour mettre en perspective, l’Internettes Explorer recense 1596 chaînes, et le groupe Facebook sur lequel le questionnaire a été proposé compte 494 membres. Ce n’est donc qu’un tout petit échantillon représentant respectivement 1.19 % et 3,85% des communautés que nous avons tenté de toucher.

Aussi, cette analyse ne se prétend ni exhaustive ni représentative, et au vu du faible échantillon dont nous allons étudier les réponses, nous nous permettons d’arrondir lorsque c’est possible certains résultats de manière à obtenir un résultat plus efficacement.

Notre première question s’intéresse donc à la variété des sujets traités par les répondantes : elles avaient la possibilité de cocher plusieurs cases mais aussi d’apporter elles-même une réponse. En plus des 25 propositions, nous avons eu 5 réponses supplémentaires : documentaires, graphisme, spiritualité, religion et sciences sociales.

Nous pouvons dans un premier temps remarquer que les résultats sont variés puisque plus de 50% des réponses ont été choisies au moins une fois.

Ceci dit, plus de 40% des interrogées s’ancrent dans la catégorie “culture”, aussi, le reste des réponses à ce questionnaire sera plus représentatif de cette catégorie que des autres.  

Par ailleurs, on note l’absence de représentativité des catégories suivantes :

  • Lifestyle / Beauté / Mode
  • Cuisine
  • Sexualité
  • Santé
  • Famille
  • ASMR
  • Technologie

Il est étonnant de constater, alors que ce questionnaire était ouvert à toutes créatrices, que la catégorie Lifestyle / Beauté / Mode, que nous avions délibérément décider de laisser de côté, n’a trouvé aucune répondante.

Par ailleurs, l’absence de représentativité des thématiques de cuisine, de sexualité et de santé ne nous permettent donc pas d’avoir des retours sur ce qui pourrait à priori, d’une part s’ancrer dans un imaginaire de cliché d’activité féminine pour ce qui est de la cuisine, d’autre part se rattacher aux problématiques de la démonétisation qui est traitée en module 3.

On remarque ici qu’une écrasante majorité des répondantes semblent faire face à des problèmes de visibilité. Il est intéressant de mettre cette information en parallèle avec les réponses à la question précédente “Es-tu recensée sur l’Internettes Explorer ?”. En effet, environ 70% des questionnées considèrent qu’elles manquent de visibilité, or, environ 80% sont recensées sur l’Internettes Explorer : si on considère que les répondantes à notre question ici sont sur cet outil, il y a alors 50% de répondantes minimum qui sont recensées et qui considèrent tout de même souffrir d’un manque de visibilité. On peut alors se questionner sur l’efficacité ou tout du moins la suffisance de l’Internette Explorer en tant qu’outil d’aide à la visibilité des créatrices.

Par ailleurs, nous avons encore une fois eu des réponses proposées par les répondantes qui disent aussi manquer de temps, avoir des difficultés à s’organiser ou à trouver de la motivation :

  • “manque de temps”
  • “difficulté à trouver des doubleurs, gérer le son, avoir plus de temps”
  • “flemme. La réalisation est aussi mon métier. Travailler pour dépenser de l’argent, c’est décourageant”

La campagne “#MonCorpsSurYouTube”, dont nous reparlerons plus amplement dans le module 3, concerne donc un peu plus de la moitié des répondantes, en tant que femme ou vidéaste. En revanche, moins de la moitié se sentent concernées en tant que vidéaste, et  autant ne se sentent pas concernées.

Si il n’y a aucune réponses aux deux extrêmes de l’échelle, on remarque tout de même une écrasante majorité des réponses entre 5 et 9 : plus de 80% des répondantes se sentent donc suffisamment concernées par les problématiques que nous avons pu évoquer précédemment.

Seules 15% des répondantes ne se sentent pas concernées.

On remarque de manière non-négligeable que plus de 50% des questionnées pensent que ces problématiques sont une réelle entrave à la création de contenu sur la plateforme. Mais ce n’est cependant pas une majorité écrasante, on peut alors supposer que chacune réagit à sa manière en ce qui concerne ces problématiques, la notion d’empowerment, évoquée plus tôt, peut ici être mise en cause : faire face à des problématiques de créations n’empêche donc pas nécessairement de créer. On note cependant que même si seules 10% (1/10) trouvent que cela ne les influences pas, on arrive cependant à 30% (9/10 et 10/10) qui trouvent ça réellement contraignant.

Il est intéressant de remarquer que la plupart des questionnées vont ici répondre avec plusieurs choix : en effet, gagner en légitimité semble passer par plusieurs processus. Néanmoins, c’est le fait d’être relayé par des institutions et/ou des personnes admirées par les créatrices qui arrive en tête de liste avec 74% de réponses. Cela peut se comprendre par la tendance de notre société à valider en quelque sorte par le partage. Cette idée se retrouve dans les 63% de réponses si l’on parle de la vidéaste dans un article ou une autre vidéo.

Autres réponses plébiscité, “Le fait de sentir que ce que tu as à dire à de la valeur” et “Sentir que tu es à ta place” atteignent respectivement 68% et 58%. On retrouve encore une fois la notion d’empowerment ici et ce qu’elle implique : obtenir validation de la part des pairs est une chose, avoir sa propre validation entre presque autant en ligne de compte.

On remarque aussi que la monétisation n’a d’importance que pour une seule répondante : la rémunération pour ce travail n’entre donc pas du tout en ligne de compte en ce qui concerne la légitimité. Mais il est possible d’envisager que la plupart des répondantes n’ont qu’une petite chaîne, comme la plupart des membres du groupe Facebook, et que la monétisation de leur vidéo n’implique pas de grand changement en terme de rémunération.

Par ailleurs, ici aussi nous avons eu des réponses supplémentaires et particulièrement le soutiens en commentaires des vidéos postées qui est revenu dans la moitié des propositions. Les autres réponses concernent les discussions et le soutien d’autres vidéastes, qui confirme l’idée de la validation par les pairs, mais aussi la mise en place de son propre univers, ce qui rejoint ce que nous évoquions du sentiment d’être à sa place.

 

En ce qui concerne la question “Dans la mesure où tu te sens concernée par ces problématiques, quelle(s) stratégie(s) as-tu mis en place pour y pallier ?les répondantes avait ici la possibilité de donner une réponse courte, mais il est facile de repérer des récurrences :

  • la communication semble être un outil important pour contrer ces problématiques : autant sa propre communication (“se faire un nom dans le domaine”) qu’en communiquant autour des vidéos des autres créatrices.
  • une autre stratégie mise en place est celle de la protection de son identité, ou prendre de la distance avec son activité en utilisant une voix-off, par exemple, ou en tout cas de ne pas se montrer sur les vidéos. Cela permet l’anonymisation et donc de ne pas subir certains problèmes inhérents à une activité publique.
  • On nous a aussi évoqué plusieurs fois l’importance du dialogue avec les autres créatrices, particulièrement à travers des groupes de relectures, qui permet d’éviter d’éventuelles erreurs qui pourrait poser soucis à la sortie de la vidéo.

Malgré toutes ces stratégies mises en place par les créatrices, on nous a tout de même plusieurs fois évoqués un certain désarroi face à ces efforts : certaines ne trouvent pas de solutions à ces problèmes, malgré le soutien de relais comme Les Internettes ou Youdeo (un réseau de partage de vidéos) elles soulignent un combat perdu d’avance au niveau de la diffusion, particulièrement en mettant en cause le fonctionnement de l’algorithme de YouTube.


Accéder au module 3