Module 1 : YouTube fait société

YouTube fait société


Accédez à l’entretien en cliquant sur la miniature de la vidéo ci-dessous.

Le collectif des Internettes est né en mai 2016 de la volonté d’apporter des outils d’aide et de soutien à la création aux vidéastes féminines francophones. Leur première action a consisté à la création d’une page Facebook, ayant pour but de diffuser quotidiennement une vidéo réalisée par une vidéaste. Il semble tout de même important de préciser ici que la sélection desdites vidéos dépend du jugement de valeur et de qualité émanant des membres de ce collectif. La page Facebook des Internettes compte à l’heure actuelle 24 636 likes. Entre temps, les Internettes ont élargi leur présence sur le net en ouvrant des comptes sur plusieurs plateformes (Snapchat, Twitter, et bien sûr YouTube), puis en créant leur propre page web.

La page d’accueil du site web Les Internettes

En outre, les Internettes sont à l’initiative de la création de l’Internettes Explorer, existant depuis la création de leur page web. Il s’agit d’un annuaire en ligne de recensement des chaînes YouTube de vidéastes exclusivement féminines et francophones. Ces chaînes sont classifiées par catégories, à l’aide d’hashtags (#Lifestyle, #Sciences, #Histoire,…), et par ordre alphabétique. Cet annuaire compte actuellement 1596 chaînes, et notons que les utilisateur.ices ont la possibilité d’en soumettre de nouvelles.  À préciser que ce recensement demeure non exhaustif pour la simple raison que de nombreuses productrices de contenu ne sont pas encore au courant de son existence.

L’Internettes Explorer, disponible sur le site web des Internettes

La TV reproduit les carcans sociaux qui sont attribués aux femmes dans la société, et ce phénomène est aussi présent au sein de YouTube, bien que la plateforme offre une certaine liberté de création. Notre éducation actuelle est l’héritage de notre société de genre : nous avons plus tendance à écouter les hommes que les femmes, voire même à considérer ces dernières comme illégitimes dans leurs prises de parole ou dans la diffusion de savoirs qu’elles mettent en oeuvre. Ces discriminations sont omniprésentes et ne concernent pas que le genre mais aussi la question de la race, de l’âge, ou encore du degré d’études. En outre, les femmes sont affiliées à des sphères sociales et quotidiennes précisément ciblées (cuisine, beauté, famille…) et ce n’est pas un hasard si les mêmes associations sont visibles à travers les contenus vidéos YouTube. Enfin, ces formes d’oppressions étant peu combattues et condamnées dans la société, il en est de même concernant le site hébergeur.

 

Au delà des discriminations omniprésentes au quotidien, les vidéastes féminines sont également confrontées à de nombreuses entraves à la création ainsi qu’à la diffusion de leurs créations, notamment lorsqu’il est question d’évoquer certains sujets considérés comme “tabous”, comme par exemple leurs corps. Nous avons pu échanger à propos de cela lors d’un entretien en compagnie de trois membres du collectif des Internettes, qui sont : Marie, une des co-fondatrices, Éléonore, la coordinatrice de projets, et Raphaëlle, graphiste.

Dans Surveiller et Punir, paru en 1975, Michel FOUCAULT développe la notion d’assujettissement : il explique que toute forme de pouvoir est intériorisée par les sujets, qui vont se constituer par rapport à elle.

Raphaëlle témoigne :

j’ai un épisode qui doit sortir sur le corps, et je ne le sors pas. Parce que j’ai peur de l’impact que ça pourrait avoir”.

Cette forme de pouvoir, constamment exercée sur le corps des femmes, et intériorisée par ces dernières se constitue dès lors comme norme.  Cela a de nombreuses répercussions sur les processus de création et de production, mais peut aller jusqu’à conduire à l’auto-censure, comme c’est le cas pour Raphaëlle, voire même jusqu’à l’uniformisation des contenus.

Marie nous a confié :

au delà de la censure que la plateforme développe, ce que je trouve terrible c’est l’auto-censure qui participe à un lissage de la pensée”.

Toujours selon Michel Foucault, les pratiques et les comportements sont performateurs, c’est à dire qu’ils “font faire”. Ainsi, ce pouvoir exercé sur les créatrices est intériorisé comme norme par ces dernières, ce qui va les pousser à le perpétuer à travers leurs créations, leurs pratiques et leurs comportements, ainsi que leurs adaptations à ces contraintes.

Éléonore :

“on perpétue les stéréotypes”.

Ces entraves à la création poussent les vidéastes à produire, de façon massive, des contenus standardisés voire normalisés dans le but de correspondre au cadre défini par YouTube et les annonceurs. Cela rejoint les propos tenus par Marie concernant le “lissage de la pensée” émanant de ces standardisations.


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