Problématique de la démonétisation
En Mai 2018, les Internettes ont lancé la campagne #MonCorpsSurYoutube sur le réseau social Twitter. Cette mobilisation, fortement relayée, se présente comme réponse à le démonétisation systématique de certaines vidéos : en effet, une forte vague de démonétisation a été soulevée à cette époque et les vidéastes se sont exprimés sur le sujet.
Afin de vous présenter cette problématique, nous vous proposons de passer par l’étude d’un corpus de tweets à ce sujet, et ainsi de mieux comprendre les tenants et aboutissants du sujet.
Le corpus est donc composé de 12 tweets, dont un thread (ensemble de tweets d’un seul et même compte dû à la contrainte de caractères caractéristique de Twitter), deux relais par des médias, six femmes et quatre hommes. Il a été composé avec la recherche du #MonCorpsSurYoutube, et comprennent donc tous cette mention.
Le tableau ci-dessous regroupe l’ensemble des tweets de comptes personnels (tenus par une personne) et permet de délimiter la problématique :
Ce constat n’est pas étonnant, comme nous avons déjà pu l’expliciter, Youtube fait société et ces sujets restent tabous en France. Dans sa vidéo pour le média Brut, Marie Camier Théon, une des fondatrices de l’association Les Internettes, précise que « ce n’est pas à Youtube et aux annonceurs de décider quels sont les sujets de société qui sont tabous », mais ce n’est effectivement pas le cas. Si les choses commencent doucement à évoluer avec des publicités montrant du sang de menstruations bien rouge et non plus bleu, les campagnes anti-IVG sont toujours présentes et actives, de même les conversations sur le viol et le consentement sont toujours d’actualité, Youtube jugerait alors ces sujets, débattus encore de nos jours, comme trop sensibles. Mais alors, trop sensible pour qui ?Au premier abord, nous pouvons donc constater que les vidéos concernées par les répercussions touchent autant les créateurs que les créatrices. Pour ce qui est des sujets, on remarque particulièrement la thématiques du corps des femmes et tout ce qui en découle (menstruations, protections intimes, avortement) mais aussi lorsqu’il s’agit de parler de sexe, de droits des femmes et de viol. Plus étonnant peut-être, les vidéos de Lou sur le féminisme impliquerait alors que la plateforme s’engage sur le terrain des mouvements, en prenant parti, nous le verrons, d’invisibiliser certains discours.
La plupart des vidéos sont soumises à une démonétisation, c’est à dire que la plateforme estime qu’elle ne correspond pas aux annonceurs. En pratique, Youtube offre à des annonceurs des espaces publicitaires au sein des vidéos de ses utilisateur.ice.s : elle permet une maigre rémunération pour les créateur.ice.s, mais aussi pour Youtube.
Dans une logique de rendement, la plateforme fera apparaître logiquement en priorité les vidéos monétisées car ce sont celles qui rapportent de l’argent aux annonceurs, à Youtube et aux créateur.ice.s. Démonétiser une vidéo n’est alors pas seulement la priver d’un potentiel revenu (bien qu’il ne soit que très faible) mais c’est surtout la rendre invisible aux yeux de la plateforme, ne pas être référencé et ne pas être dans les recommandations de l’algorithme, et donc d’être bien moins diffusée qu’une vidéo monétisée.
Par ailleurs, Calie précise que sa vidéo a été soumise à une limite d’âge, ce qui restreint encore le potentiel public de la création audiovisuelle. Cette limite d’âge, Clemity Jane l’évoque elle aussi dans son thread, particulièrement pour souligner son incompréhension autour de cette limite qui semble illogique, l’algorithme ne permettant pas aux personnes âgées de moins de 18 ans d’accéder à une des parties d’une vidéo séquencée, ou en apposant cette limitation aléatoirement à des vidéos semblables. Pour rester sur la thématique de l’âge, elle précise aussi que ses vidéos ne sont pas disponibles en mode restreint (activé par exemple sur les postes des établissements scolaires) et si nous n’avons pas d’autres témoignages sur ce cas, nous pouvons néanmoins imaginer qu’il en va de même pour de nombreuses autres vidéos.
Dans ce même thread, Clemity Jane souligne que toutes ces restrictions ralentissent donc non seulement la visibilité, mais aussi une potentielle croissance sur la plateforme.
Benjamin évoque quant à lui une « censure », la question peut en effet se poser : la censure est l’examen d’une autorité décidant de ce qui peut être publié et diffusé. Ici, l’autorité est détenue par Youtube, qui choisit en effet, non pas ce qui est publié mais bien de ce qui est diffusé, en choisissant d’invisibiliser certaines thématiques. Ce mot est aussi utilisé par France Info, qui se demande si « Youtube a [-t-il] un problème avec le corps des femmes ? Des vidéastes dénoncent la « censure » de la plateforme » : un mot fort relayé par un média populaire et d’état, lui inculquant dès lors une aura d’autorité.
Sylvain Lapoix, en citant un article du journal Télérama, se questionne : « L’algorithme de Youtube serait-il donc sexiste ? », et donne la réponse par la suite : « un algorithme ne décide de rien qui n’ait été programmé » : en effet, dans le fonctionnement de Youtube, il est possible de faire des réclamations. La vidéo sujette à la démonétisation est visualisée par les employés de la plateforme qui décident si la vidéo est appropriée ou non aux annonceurs. Cela pose question non seulement sur la source même de l’algorithme : même si la vidéo est visionnée humainement si les vidéastes en font la demande, ce qui requiert un effort particulier et de l’attente, la source même du code de l’algorithme reste le même : sanctionner les vidéos faisant état de ces thématiques.
Il semblerait aujourd’hui, plus d’un an plus tard, que YouTube ait pris connaissance de ce mouvement et que les problèmes de démonétisation que certains considèrent comme abusive aient été résolus, en particulier grâce à une vérification humaine plus systématique.
Malgré tout, les vidéastes estiment qu’il reste un certain chemin à parcourir : récemment, Charlie Danger et sa chaîne Les Revues du monde a lancé un nouveau hashtag #BreastonYoutube, à traduire par #poitrinesurYoutube pour lutter contre la démonétisation systématique des vidéos contenant des poitrines de femmes, là où celle des hommes n’est pas censurée.
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