Module 2 : Revendications et militantisme : Théories post-féministes

Pour comprendre la performance de Lisa Bouteldja, on peut remonter aux théories postféministes, et notamment à Donna Haraway et Judith Butler :

De Donna Haraway au cyberféminisme : Donna Haraway est une philosophe et primatologue américaine, qui travaille sur les possibilités d’émancipation des femmes par les techno-sciences. Elle reconnaît dans les techno-sciences un terrain de bataille dont les femmes doivent s’emparer.

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Dans son Manifeste Cyborg, elle déconstruit l’opposition que la société fait entre le féminin et la technologie, et défend l’idée que les femmes ont un rôle important à jouer dans les nouvelles technologies.

 

Elle utilise dans son essai la métaphore du cyborg, inspiré de la science-fiction, pour critiquer les théories féministes essentialistes et la définition binaire du genre, en disant que le cyborg n’a pas besoin de cette identité essentialiste. Le cyborg rompt avec des identités aliénantes, puisqu’il n’est ni humain, ni machine, ni naturel ni artificiel, ni homme ni femme.

 

Elle écrit dans son manifeste qu’il est de plus en plus difficile de différencier ce qui appartient à la nature ou à la culture, et qu’il n’y a plus de différence fondamentale entre la nature et les machines, donc entre l’homme et le robot, et donc que la techno-science doit être un espace de
liberté pour les minorités. Le Manifeste Cyborg donna naissance au mouvement cyberféministe, qui se développa dans les années 1990. L’artiste Faith Wilding décrit les objectifs du mouvement dans la revue n.paradoxa en 1998, en expliquant que « c’est au cyberféminisme d’utiliser les perspectives théoriques et les outils stratégiques du féminisme et de les coupler aux cybertechniques afin de se battre contre le sexisme, le racisme ou le militarisme encodés dans le software et le hardware du Net, politisant ainsi l’environnement ». Les réseaux sociaux deviennent aujourd’hui des alliés des cyberféministes, afin de lutter contre les discours normalisant et la construction des  rôles sociaux.

Les réseaux sociaux permettent le développement d’outils qui produisent un contre-discours dans l’espace virtuel. La performance de Lisa Bouteldja participe à cette forme de militantisme.

 

La performance de genre de Judith Butler :
la philosophe américaine Judith Butler a théorisé la notion de performativité du genre. Elle explique que le genre est performatif et il produit “l’existant social du sexe”. Ce sont des pratiques et des comportements qui produisent le genre, et que ces comportements sont la performance de normes sociales bien établies. Le genre est le résultat de pratiques discursives, qui sont incarnées par des corps et des attitudes, pour produire ce que le genre est censé représenter : un homme ou une femme. Cette performance de genre est une imitation de codes construits par la société.

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Afin de déconstruire le genre, Judith Butler encourage les performances théâtrales du genre, à l’image du drag, car ces performances montrent que le genre relève de la parodie, c’est-à-dire qu’il est construit par l’imitation et la répétition de pratiques. La performance de Lisa Bouteldja s’inscrit dans la continuité de la théorie de Judith Butler, car elle produit une performance imitative en répétant les codes et les stéréotypes de la beurette. Cette performance est à la fois une performance de genre, mais aussi de race et de classe, qui permet à Lisa Bouteldja de déconstruire le stigmate de la beurette.

BEURETTE : Définition du Larousse : « Femme française dont la famille est originaire du Maghreb, en Afrique du Nord. »

Féminin du terme « beur », apparu dans les années 1980, popularisé par l’émission « Radio Beur » de Nacer Kettane, puis par la « Marche des Beurs » en 1983 (« Marche pour l’égalité et contre le racisme ») Terme au départ inventé par les enfants de l’immigration eux-mêmes, puis est devenu un terme péjoratif dans les années 2000, et a acquit une connotation pornographique.

 

Devenu un tag porno populaire, et sous différentes déclinaisons : “beurette voilée”,“beurette des cités”. En 2014, première catégorie recherchée en France sur le site PornHub. Selon Eric Fassin et Matthieu Trachman auteurs de l’article « Voiler les beurettes pour les dévoiler : les doubles jeux d’un fantasme pornographique blanc » « La « beurette », définie par une injonction paradoxale de soumission et d’émancipation, est un fantasme social avant d’être sexuel. »
Stéréotypes de la femme maghrébine qui viennent du colonialisme : jeune femme ouverte au colonisateur, femme orientale à la sexualité débridée
Opposition avec la femme maghrébine qui est dévouée à la religion, respectée par les hommes de sa famille. La Beurette est une femme qui vit « à l’occidental », devient une insulte au sein même de la communauté maghrébine. Terme sexiste et raciste qui enferme la femme maghrébine entre deux dichotomies : la femme voilée « extrémiste » ou la « beurette » sexualisée.
Lisa Bouteldja s’applique donc elle-même l’insulte de beurette en reprenant ses stéréotypes, afin de retourner le stigmate.

PETITE VIDÉO : AJ+ LA REINE DE LA BEURETTOCRATIE 

https://www.facebook.com/watch/?v=567366707038292

On peut voir sur ses photos qu’elle s’amuse de ces clichés, en prenant ses photos avec une chicha, au kebab, elle porte des tenues bling-bling, avec de la contrefaçon, elle reprend également les clichés orientalisants ; le voile, des tenues traditionnels… On ressent aussi ce jeu dans son langage, que ce soit dans ses vidéos en story ou ses légendes de photo, elle a un langage familier, mélange du français et de l’arabe, invente des mots, dans ses légendes elle va des fois reprendre des phrases de rappeurs. Son langage accentue le cliché de la beurette de cité.

Mais elle se sert aussi de son compte pour faire passer des messages plus directs, et sans second degré, comme la story « Une histoire », dans laquelle elle présente des photos de sa famille et raconte l’histoire de ses grand-grand-parents au moment de la guerre d’Algérie. Ça permet de créer un lien avec sa communauté, c’est une façon de les informer sur l’histoire qui a mené à sa performance, et de revendiquer ses origines.