Ici, nous vous proposons une évaluation de ces différentes démarches féministes, nous les critiquerons de manière à voir quelles sont les contraintes et avantages que présentent chacune de ces interfaces numériques pour ces types de luttes féministes.
Compte Instagram @Tasjoui :
Ce compte fait une utilisation assez innovante et singulière de l’outil numérique que constitue Instagram, en se réappropriant les fonctionnalités de l’application. Par exemple l’outil story ; initialement créé comme un format court et éphémère, Dora Moutot l’utilise comme succession de courtes séquences vidéo qui constituent au final une longue vidéo. Elle a d’ailleurs figé deux d’entre elles en stories permanentes, pour introduire son compte. Cela permet de comprendre de prime abord sa démarche. On est renseigné.e.s sur l’identité de celle qui gère le compte, ça permet de cerner ses motivations et de savoir dès le départ si elles nous intéressent ou pas. De plus, si l’on veut témoigner on sait à qui l’on fait notre témoignage. Initialement, Instagram est une application qui permet de publier des photos de soi. Sur @Tasjoui, c’est le screenshot de contenus textuels et le repost qui priment. Les screenshots de témoignages offrent un accès rapide et simple à des témoignages, ils redonnent de l’importance au format texte, généralement chassé des réseaux sociaux avec un nombre de signes très limité. Dora Moutot détourne une contrainte, et permet l’accès à des récits de vie, elle permet une expression textuelle sur un réseau qui n’est normalement pas destiné à cette fonction.
Pour les contenus imagés externes republiés, eux permettent d’illustrer une thématique qu’elle va venir détailler dans la description de son post. Il y a donc un éveil de la curiosité par l’image puis un texte pour initier le lecteur à des thématiques multiples.
Les mèmes, eux, sont un contenu humoristique qui vient alléger le compte. Les outils iconographiques ont donc une place importante sur @Tasjoui. Dora Moutot utilise aussi beaucoup les émoticônes pour présenter et commenter les publications. Ainsi, ces outils très visuels permettent de saisir rapidement les thématiques qui vont être abordées dans le témoignage. Mais ils indiquent aussi le point de vue de l’auteure du compte, ils viennent donc peut-être influencer la lectrice. Cependant, on peut dire que les sujets sont très peu approfondis. On assiste finalement à des discours peu politisés et peu argumentés voire à une dépolitisation du sujet.
On peut aussi relever qu’il y a une sorte de dimension perverse, car on regarde les témoignages, et parfois les malheurs des autres dans un contexte de divertissement. On va sur les réseaux sociaux pour passer le temps, pour se distraire. Cet espace est un lieu de divertissement et de libération des femmes, il vient soulager les 330K personnes qui le fréquentent quotidiennement. Il est une forme de militantisme déconnecté de la réalité, de la communauté, mais qui reconnecte les femmes à leurs propres problèmes.
Compte Instagram @Feminist :
Ce compte est un espace mixte qui sensibilise toute personne au féminisme. Le compte insiste sur cette mixité et sur le fait que le féminisme ce n’est pas détester les hommes. Il offre la possibilité à toute personne, homme, femme, personne non binaire de s’intéresser à la cause. Il propose un contenu très patchwork avec une esthétique visuelle travaillée qui unit toutes les publications.
D’ailleurs le nom très général du compte permet de découvrir le compte facilement et de pouvoir couvrir une grande panoplie de thèmes. Le compte s’ouvre en effet à d’autres sujets comme l’environnement. Avec une grande variété de sujets et de nature des postes, allant de la photo, au screen d’un tweet, jusqu’à l’illustration; il permet à une certaine variété d’utilisateur.rice.s de s’y intéresser, de celleux qui préfèrent les posts humoristiques à celleux qui préfèrent les contenus artistiques par exemple. Les utilisateur.rice.s peuvent piocher et sélectionner les publications auxquelles iels s’identifient, auxquels iels sont plus sensibles. Cela permet donc un renfort identitaire, un renfort d’une opinion pré-existante. Mais aussi, en se baladant sur le compte, il peut permettre la découverte de nouvelles notions de la lutte féministes, de comptes numériques, de mouvements, de productions féministes qui existent. Il sensibilise tout en étant dans un contexte léger. Ce compte s’ancre dans la pop culture et réutilise des images qui circulent beaucoup sur les réseaux sociaux. C’est un espace où les personnes sensibles à ces contenus et au féminisme peuvent rire, dédramatiser ou reprendre le pouvoir sur leur conditions en méprisant le patriarcat notamment. Il montre aussi des modèles de corps féminins différents des égéries de beauté. Il montre la diversité des corps féminins et permet aux femmes de s’identifier et de s’inspirer en voyant d’autres femmes s’aimer, et aimer leurs corps. Ce compte est sans doute moins sectaire et peut-être plus ouvert et plus large, le féminisme ici se rapproche de l’humanisme.
L’OUTIL INSTAGRAM :
Le réseau Instagram ne semble pas favoriser la création de collectif et de véritable communauté, de part son interface et son fonctionnement, avant-tout individualiste, centré sur l’image. Contrairement à d’autres réseaux sociaux tels que facebook, dont la conception est beaucoup plus axée sur la mise en relation des individus et justement la dimension collective. L’outil numérique Instagram ne permet pas la mise en place d’une véritable lutte politique et la réelle transmission d’un message politisé. Cependant ces comptes Instagram qui partagent une idéologie permettent à l’individu de se positionner sur un sujet, de venir valider ou abjurer une idée, mais aussi de se divertir et de dédramatiser.
Chaîne youtube “Marinette – Femmes et féminisme” :
Cette chaîne avec ses sept formats différents de vidéo : l’édito, le débat, le focus, le podcast, le docu, le décryptage et la culture permet aux internautes de choisir quels formats iels souhaitent consommer. On peut préférer le format vidéo documentaire, ou bien édito avec Marinette qui s’adresse directement à la caméra en parlant d’anecdotes personnelles. Dans chaque vidéo elle approfondit un thème. Ce qui permet d’avoir un apport intellectuel plutôt global sur thème du quotidien, une vulgarisation. En donnant son propre point de vue dans ses éditos, elle invite la personne qui regarde à construire le sien plus ou moins en opposition ou en accord avec Marinette. C’est avant tout de l’information. L’utilisation de sa chaîne se fait un peu comme un blog, car elle ne poste pas régulièrement, il y a peu de vidéos. Donc on y va, on regarde parmis la vingtaine de vidéos lesquelles nous intéressent et on met play.
C’est comme dans un journal dans lequel on choisirait les articles que l’on veut lire. On peut vraiment cibler les sujets auxquels nous sommes sensibles. On retrouve aussi sur sa chaîne une dimension supra frontalière car certaines de ses vidéos ont des sous titres en anglais. Elle cherche à toucher des personnes de différentes langues, à avoir un public large. Car finalement les thèmes qu’elle aborde concernent tout le monde. Le format vidéo-informative peut venir substituer la télévision, il permet de réellement créer une capsule temporelle avec les spectateur.rice.s qui captent en même temps un propos, une ambiance, une personne, un lieu. Il permet de capter l’aspect visuel et auditif, ce qui offre une immersion plus grande dans les idées présentées. La plateforme Youtube rend possible, avec l’espace commentaire, une certaine interaction avec les abonné.e.s et les spectateur.rice.s ; iels peuvent venir compléter, contredire, confirmer ce qui est dit. Il y a donc un espace pour réagir à la vidéo, cet espace permet de rééquilibrer, contrebalancer le discours tenu.
Chaîne de podcast “Quoi de Meuf ?” du site “Nouvelles écoutes” :
Ces podcasts se constituent de discussions entre deux jeunes femmes. Ce format permet à l’auditeur.rice de rentrer dans une certaine intimité, on a l’impression d’être dans une discussion entre amies. Le fait de reconstituer ce format de la vie courante, donne l’impression à l’auditeur.rice de faire partie de la discussion et permet de s’ancrer facilement dans le sujet de la discussion. Cette chaîne de podcast entreprend une démarche intersectionnelle et intergénérationnelle. Les sujets qu’elles abordent peuvent intéresser et toucher une grande mixité de personnes ; queer, bi, hommes cis, femmes lesbiennes racisées, tout le monde peut s’y retrouver. Le podcast traite aussi des sujets d’actualités de la pop culture, avec une lecture féministe en temps réel des thèmes d’actualités, sous différents prismes.
Les auditeur.rice.s peuvent donc rapidement s’emparer des évènements et faits divers et se forger une opinion grâce aux arguments avancés par les animatrices. En mettant en lien des thèmes de débats et questionnements actuels avec des films, des chansons, des personnalités il permet aussi de faire connaître et découvrir des objets artistiques. De plus, elles traitent des concepts tout en faisant une remise en perspective du féminisme. L’information transmise est recontextualisée et permet à l’auditeur.rice une plus grande compréhension des sujets traités. On a l’habitude d’écouter des formats audios dans nos trajets, en faisant d’autre choses en même temps. En ne nécessitant que le sens de l’écoute, le podcast permet à l’auditeur.rice d’être multifonctionnel. Par exemple, on peu en apprendre plus sur le thème de la PMA tout en faisant son ménage. Les podcasts faisant une quinzaine de minutes permettent à l’auditeur de choisir le lieu de son écoute, dans les transports, chez soi, dans une salle d’attente… Cette durée offre une certaine malléabilité et liberté à l’auditeur. Par contre, les podcasts d’une quarantaine de minutes sont peut-être moins accessibles, car il faut être “disponible” auditivement pendant quarante minutes et avoir une activité qui occupe le reste de nos sens durant la même durée. En effet, l’écoute du podcast nécessite d’être couplée à une autre activité entreprise par le reste du corps.
Le site web “Les Glorieuses” :
Le but de cette plateforme est de rassembler et d’informer, elle cherche à construire une vrai sororité. Le site est innovant dans ses méthodes de diffusion. Chaque mois, les personnes abonnées à la newsletter reçoivent dans leurs boîtes mails un article sur une revendication féministe. Les Glorieuses sont aussi actives sur Whatsapp. Elles optent donc pour différents procédés, différentes plateformes qui leur permettent de toucher un plus grand nombre de personnes, de générations. Cependant la démarche des newsletters n’est peut-être pas intéressante pour toutes les abonnées car nous savons tou.te.s que les boîtes mails peuvent être des niches à informations futiles ou promotionnelles, les articles des Glorieuses peuvent s’y perdre. Le format Whatsapp, par contre, peut être plus adapté aux jeunes générations utilisant les réseaux sociaux. D’ailleurs, les Glorieuses ont fait le choix de cibler un public avec leur version pour ados féministes « Les Petites Glo », le site cible et sensibilise les plus jeunes. Avec l’option Whatsapp, l’abonné.e peut se rendre quand iel le décide sur la conversation pour s’y informer sur des sujets variés. L’application whatsapp est ici détournée, plus qu’une simple discussion, elle est utilisée par le site pour diffuser ses articles. L’abonnement payant, le « Club » permet d’adhérer davantage à cette initiative. Il offre la possibilité de sortir du virtuel pour entrer dans le réel afin de rassembler les femmes lors d’évènements organisés par le site.
Ici, c’est l’unique cas de notre étude qui est à la fois présent sur et hors espace numérique. C’est une autre façon de militer dans un cadre davantage institutionnalisé. Elles créent un véritable réseau d’action entre différentes institutions féministes. Le format site n’est sans doute le format numérique le plus valorisé par les jeunes générations. Il faut aller chercher l’information nous mêmes, elle ne vient pas à nous. Ce n’est pas comme YouTube qui répertorie des millions de chaînes et qui nous avertit lors d’une nouvelle vidéo. Il n’existe pas de grand site célèbre qui répertorie des milliers de blogs ou de sites. Ainsi, le format site web peut-être handicapant et invisibilisé par les réseaux sociaux. Cependant, avec ces différentes démarches, le féminisme vient directement aux personnes intéressées et s’adapte aux contextes connectés d’aujourd’hui. L’apport pour les abonné.e.s est donc plutôt complet, elles ont réussi à créer une communauté, une sororité, à la fois réelle et virtuelle, permettant une construction à la fois intime, personnelle et collective.
De manière générale :
Nous sommes à une époque où l’individualisme gagne du terrain. La construction identitaire et personnelle est de plus en plus importante pour chacun. On est dans un phénomène de construction individuelle de sa propre opinion à l’écart du groupe. Ces espaces numériques que nous avons étudiés offrent des clés de conscientisation. Les tics viennent générer de nouvelles pratiques sociales et de nouvelles formes d’engagements. Elles sont des espaces qui concrétisent, formalisent des notions idéologiques immatérielles. elles rendent matériel des notions immatérielles. Elles rendent concrètes des pensées et des luttes, en leur offrant des espaces de discussions, d’expression, de construction.