Le féminisme est une forme de lutte politique contre les oppressions patriarcales dans tous les domaines (économique, politique, social, intime, etc.). Les mouvements féministes ont particulièrement évolué au cours du XXème siècle et différents courants se distinguent aujourd’hui dans le monde, n’envisageant pas les questions de genre et les possibilités d’action de la même manière. Plus récemment, avec l’arrivée du numérique et la hausse et la diversification des usages d’internet, un nouveau terrain de lutte est apparu pour le féminisme. Internet a offert de nouvelles possibilités d’action et d’organisation que les groupes féministes se sont rapidement appropriés, conduisant à l’émergence de ce que l’on appelle le cyber-féminisme.
Une enquête réalisée sur le compte Instagram @tasjoui, géré par Dora Moutot, nous a révélé que l’utilisation des plateformes numériques pouvaient avoir pour conséquence une dépolitisation de la pensée féministe, avec notamment une réappropriation de la parole des femmes, l’absence de prise en compte de l’intersectionnalité et l’individualisation d’une lutte collective. Revenons donc sur les fondamentaux : qu’est-ce qu’un féminisme intersectionnel ? Comment apparait ce que nous appelons le cyber-féminisme et qu’est-ce qui le caractérise ?
Ce que nous vous proposons ici, c’est de revenir sur les bases du cyber-féminisme et d’étudier quelques exemples d’initiatives se réclamant du féminisme utilisant des plateformes ou outils numériques. Nous cherchons à mieux comprendre ce que permet le numérique et ses usages en termes de lutte et quels obstacles ou problèmes ils peuvent également poser au militantisme. Nous avons sélectionné cinq cas de cyber-féminisme à vous présenter pour mieux appréhender le sujet et les enjeux qu’il soulève :
- La chaine YouTube « Marinette – Femmes et féminismes »
- Le compte Instagram « Tasjoui »
- Le compte Instagram « feminist »
- La chaîne de podcast « Quoi de meuf » sur Nouvelles Ecoutes
- Le site web « Les Glorieuses ».
DÉFINITIONS
Commençons par un travail de définition pour poser les bases nécessaires à la compréhension des enjeux et des problématiques liés au féminisme sous l’ère du numérique.
1) Féminisme intersectionnel.
L’intersectionnalité dans les études féministes est une notion utilisée pour aborder la question des oppressions, c’est une perspective qui prend en compte la possibilité pour des individus d’être confrontés à plusieurs oppressions à la fois. Par exemple, une approche féministe intersectionnelle permet de considérer qu’on peut être victime de sexisme et également de racisme, d’homophobie, de classisme, de transphobie etc. L’approche intersectionnelle donne notamment de la visibilité aux femmes minoritaires au sein même des mouvements féministes et de tenir compte des différents rapports de domination et de pouvoir qui peuvent s’exercer sur elles. L’intersectionnalité du mouvement féministe vient de l’émergence des mouvements afroféministes aux Etats-Unis à al fin du XXe siècle avant d’être théorisée par Kimberlé Crenshaw (universitaire afro-américaine) dans les années 1990, débouchant sur le mouvement du Black Feminism. L’intersectionnalité apparait comme un angle de réflexion nécessaire au développement d’une pensée féministe réellement politique, inclusive et émancipatrice en ce qu’elle permet la prise en compte d’une multiplicité de relations de pouvoir et d’oppressions, et ainsi le développement de stratégies politiques et de lutte adaptées.
2) Définition et présentation cyber-féminisme.
Le cyber-féminisme désigne l’activisme féministe à travers l’utilisation des outils numériques et d’Internet. En 2012, Joanne Lablonde propose une définition du cyber-féminisme comme « une pratique activiste, liée à l’idéologie d’ouverture propre au réseau, visant le partage de connaissances autant techniques que théoriques de même que l’accessibilité des outils de création et de diffusion pour les femmes et groupes de femmes ».
On peut reprendre cette définition point par point pour bien comprendre de quoi il s’agit. D’abord on parle d’un activisme, c’est-à-dire d’une forme de lutte politique et revendicatrice, ici, le féminisme. Cet activisme est directement lié aux moyens et outils offerts par le réseau et l’accès au numérique avec les nouveaux modes de communication, d’organisation et de partage de connaissances et d’informations qu’il procure. Finalement le cyber-féminisme se caractérise par une nouvelle forme de lutte à partir de nouveaux moyens de création et d’expression (vidéos, photos, podcast etc.), de transmission et d’organisation (newsletters, groupes Facebook etc.). L’un des éléments centraux à retenir est que le cyber-féminisme est le fruit d’une construction réciproque entre le numérique et l’idéologie féministe. Les rhétoriques et les stratégies de luttes féministes ont utilisé les nouveaux outils mis à disposition par Internet et les réseaux numériques pour s’adapter à ce nouvel environnement, en même temps que de nouvelles techniques et de nouveaux activismes et modes de communication sont apparus à partir de ces outils.